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Pollutions environnementales

Non, nous n’ingérons pas l’équivalent d’une carte de crédit de microplastiques par semaine

Une idée répandue par le WWF, qui a commandé l’étude, et reprise par l’association Reporterre, indique que nous ingérons chaque semaine 5g de plastique soit l’équivalent d’une carte de crédit.

Le militantisme et la déformation des données scientifiques

Le problème avec le militantisme est qu’on flirte toujours avec la pseudo science pour continuellement attirer l’attention du public et des médias. Il faut toujours montrer qu’on est LES (seuls) défenseurs de la santé environnementale. De plus, comme les réseaux sociaux rendent inaudibles les discours nuancés, il faut être jusqu’au-boutiste. Les extrêmes sont davantage écoutés et invités sur les plateaux télé.

Il n’est pas non plus question de minimiser la pollution plastique, ni de nier les effets de perturbateurs endocriniens des plastiques (dont les composés chimiques comme le Bisphénol A et certains phtalates). Cependant en matière de prévention en santé environnementale, on se doit de garder cette rigueur scientifique et cet esprit critique pour ne pas tomber dans une simplification qui donne naissance à des fakes news. 

Une étude menée par l’Université de Newcastle, en Australie

Le WWF a commandé cette étude à l’Université de Newcastle, Australie. Pilotée par le Dr Palanisami, lequel est identifié par le WWF comme chercheur co-responsable des projets sur les microplastiques, l’étude a été publiée en septembre 2021 et est disponible en format pdf : A Systematic Review on the Toxicological Implications of Microplastic to Human Health.

La première critique que l’on peut faire est qu’elle n’a pas fait l’objet d’une soumission auprès d’une revue de littérature scientifique. Concrètement cela signifie que les affirmations de cette étude n’ont pas fait l’objet d’une évaluation, notamment en ce qui concerne la méthodologie, par la communauté scientifique. D’ailleurs, Martin Pletz du Department of Polymer Engineering and Science, Montanuniversitaet Leoben, Austria, a publié dans la revue scientifique Journal of Hazardous Materials Letters, en novembre 2022, un article nommé  : Ingested microplastics : Do humans eat one credit card per week ? Son article critiquait justement la méthodologie du travail de l’équipe de Newcastle.  

L’être humain n’est ni une moule ni une huitre

La deuxième critique en lisant l’étude est qu’elle fait plutôt un (petit) état de l’art (avec une vingtaine de publication) reprenant des études aux méthodologies très hétérogènes. En effet, l’équipe reprend aussi bien des études qui portent sur l’exposition de la faune marine, que des études in-vivo mené sur des cellules épithéliales humaines que des études épidémiologique plus larges sur l’exposition des êtres humains à travers la qualité de l’air et des aliments.

La faune marine et notamment les bivalves (moules et huitres) sont souvent utilisés comme des sentinelles en écotoxicologie car ils filtrent l’eau et peuvent donc accumuler une multitude de polluants. L’état de la population de bivalves est un indicateur de la qualité de l’eau, comme l’état des lichens sur les arbres sont des indicateurs de la qualité de l’air extérieur. Mais l’être humain n’est ni un bivalve ni un lichen.

De plus, l’eau destinée à la consommation humaine est systématiquement traitée et filtrée avant d’être distribuée dans le réseau d’eau potable. Ainsi, il aurait été plus pertinent de réaliser des analyses physico-chimiques sur l’eau à la sortie du robinet pour connaître la possible contamination en microplastique.  

En ce qui concerne les modèles in-vivo, ils présentent la limite de ne pas refléter la réponse d’un organisme complexe. Les modèles in-vivo sont des indicateurs mais ne permettent pas de dresser une conclusion sur la toxicité d’un xénobiotique.

Enfin, nous sommes effectivement exposés aux polluants via 3 voies différentes : l’ingestion, l’inhalation et transcutanée (via l’épiderme). L’évaluation des risques sanitaires requiert de s’intéresser individuellement à chaque voie d’exposition avant de réaliser des préconisations par voie d’exposition. On ne fait pas un mic-mac de méthodologie.

Une conclusion délibérément exagérée reprise par le WWF

La troisième critique et la plus importante est que le WWF ne retient que la valeur la plus élevée de l’estimation, celle qui va faire le plus de bruit et être reprise en fanfare par toutes les autres associations militantes et les médias.

L’étude repose sur l’analyse de 19 publications scientifiques qui s’intéressent aux liens possibles entre une exposition aux microplastiques (<5 mm) et l’état de santé des populations humaines. Or l’étude conclut de manière très vaste « que le corps humain excrète via les fèces des microparticules et nanoparticules de plastique, il est possible qu’il (le corps humain) ingère entre 0,1 et 5g/semaine ». La phrase exacte en anglais : “the human body’s excretory system eliminates some of the ingested MNPs and NPs via feces (Smith et al, 2018), there might be more ingested (0.1 – 5 g/week) than excreted (1.1 – 677.1 mg/week).”

D’une part l’auteur utilise le terme “might” qui exprime une incertitude ou un doute plus fort comparé à “may”. D’autre part, on a une valeur comprise entre 0,1 et 5g, soit un rapport de 50 entre la valeur minimum et la valeur maximum. En prenant la valeur la plus élevée qui reposent, ni plus ni moins sur une hypothèse et non un fait, le WWF privilégie l’audience au détriment de la science, confortant les extrémistes dans les extrêmes.